On se souvient de l’émoi suscité par le choix de Sanofi de réserver aux États-Unis la primeur d’utilisation du vaccin anti-Covid à venir, et cela au prétexte d’un préfinancement de la recherche de plusieurs milliards de dollars. Courroucées, les autorités politiques nationales et européenne sont intervenues sans retard pour rappeler le statut de bien commun d’un tel traitement réputé accessible à tous, spécialement en contexte d’urgence sanitaire. La présidence française a défendu la thèse d’un « bien public mondial extrait des lois du marché ».
Cet épisode illustre parfaitement la faveur croissante de la thématique des « communs » sur fond non plus de « communisme » démonétisé mais de « communalisme », de mise en commun non exclusive de la propriété privée.
Le « bien commun», un débat toujours ouvert
La notion de « bien commun » vient de très loin. Dès l’antiquité, les penseurs de la République comme Platon et Aristote réservent naturellement à la « chose publique » une place centrale que la réflexion chrétienne renforcera, avec Thomas d’Aquin, sur le fondement des droits de la personne à la vie et à la dignité. Et d’emblée se posera la question de savoir ce qu’il importe de ranger dans cette catégorie. Un débat toujours largement ouvert.
Qu’est-ce donc qui mérite d’être ainsi défini ? Spontanément, on est porté à tenir pour tels les biens qui, par nature, sont communs : le climat, la haute mer, les fonds marins, les fleuves, les glaciers des pôles, l’air… Ce qui n’empêche pas certains de ces biens d’être placés sous un régime de souveraineté, et donc d’appropriation limitée à une nation, voire à des sociétés commerciales. Les choses ne vont donc pas de soi pour tout le monde, tant s’en faut !
En réalité, la seule définition pertinente repose sur le choix collectif d’attribution de la qualité de bien commun à ce que l’on veut soustraire au seul jeu du marché et de la souveraineté étatique. C’est-à-dire dans les deux cas à la propriété comme droit de complète disposition. Les biens communs ne sont donc pas un donné, mais un construit social et politique par les autorités légitimes aux niveaux mondial ou national, voire même local.
Le droit à la santé dont nul ne doit se voir privé
Et cela sur la base de droits fondamentaux de la personne. Droit dont le respect suppose la mise en œuvre d’un régime spécifique de gestion au service de l’intérêt commun. Dans le cas du vaccin anti-Covid et des vaccins en général, il s’agit du droit à la santé dont nul ne doit se voir privé du fait de choix stratégiques, comme dans le cas de Sanofi, ou de considérations de coût excessif pour la population d’un pays. Où se pose donc la délicate question des compromis entre la logique universalisante du commun et celle, particularisante, de l’intérêt privé. Entre elles la tension est forte mais non sans issue par recherche du point d’équilibre sous la forme du juste prix. Mais cela suppose évidemment des autorités dotées des pouvoirs d’influence et d’orientation au niveau adéquat.
La notion de « commun » se dissocie ainsi du communisme et de son projet de collectivisation des moyens de production. Dans le communalisme, la propriété privée se voit préservée mais soumise autant que nécessaire aux exigences du collectif comme c’est déjà le cas depuis longtemps à propos des « monuments classés historiques ». Il y a là une forme de propriété sociale dont le champ devrait s’étendre.
La tendance, renforcée par les mesures sanitaires, à la fragmentation atomisante de la société rend plus urgente et nécessaire que jamais la réaffirmation des droits du commun.
Jacques Le Goff (article Ouest-France)