VIENT DE SORTIR 30 novembre 2022 :
Les Communs. Un autre récit pour la coopération territoriale
Sigrid Aubert et Aurélie Botta
Editions Quæ | 272 pages | 30 € version papier, gratuit version électronique
Coll. Nature et société
Forêts, nappes phréatiques, poissons… : les ressources naturelles menacées de surexploitation par les activités humaines sont légion. Entre gestion publique et gestion privée, Elinor Ostrom et d’autres scientifiques plaident depuis plus de trente ans pour une troisième voie : les communs. Un collectif de chercheurs du Cirad vient de publier un ouvrage qui s’inspire de ces travaux pour proposer une nouvelle manière d’aborder la coopération internationale. Le livre rassemble vingt ans de recherches de terrain et croise une dizaine de disciplines.
La COP15 biodiversité s’ouvre dans quelques jours à Montréal, au Canada. Face à la crise actuelle, de nouveaux modes de gestion de la biodiversité sont indispensables. Via leurs travaux sur les communs, les scientifiques du Cirad ont développé une approche innovante qui permet de repenser nos relations aux ressources et au vivant.
La surpêche sert souvent d’exemple pour illustrer la « tragédie des communs », soit la disparition d’une ressource dont l’accès échappe au contrôle. Entre privatisation et nationalisation, une voie alternative se fait entendre depuis les années 1990 autour de la notion de « communs ».
Un collectif de scientifiques du Cirad propose de revisiter cette approche, autour des usages de la terre et de ses ressources, ainsi que des interdépendances qui en découlent pour les êtres vivants sur un même territoire. L’enjeu n’est pas des moindres, puisqu’il s’agit de repenser une coopération réellement territoriale autour des solidarités sociales et écologiques existantes ou en devenir, au Nord comme au Sud.
« Loutre, nageur, kayakiste ou encore naturaliste habitent et vivent dans la Vallée de l’Hérault, commente Aurélie Botta, chercheuse au Cirad et spécialiste en modélisation participative des socio-écosystèmes. Chacun a des usages multiples de ressources plus ou moins explicitement partagées, qui renvoient à différents besoins. Dans cet exemple, on comprend bien que la cohabitation ne se joue pas seulement sur les modalités d’appropriation d’une ressource donnée, mais sur l’agencement des multiples usages susceptibles d’être reconnus sur un même territoire. »
Usagers humains… et non-humains
Dans cet ouvrage qui capitalise plus de deux décennies d’une recherche impliquée avec les pays des Suds, les scientifiques mettent en avant le besoin d’élargir la notion de solidarité entre acteurs du territoire à un autre type d’usagers : les non-humains. Il s’agit des animaux d’élevages ou sauvages, insectes, plantes ou toute autre entité qui contribue à l’intégrité de la communauté biotique, c’est-à-dire aux êtres vivants et à leurs interactions.
La non-reconnaissance des besoins de ces autres usagers entraîne souvent la mise en danger des besoins des humains. Les non-humains sont en effet essentiels à la durabilité de la plupart des usages anthropiques d’un territoire, comme l’illustrent les conséquences de la disparition des pollinisateurs liée à un usage parfois abusif aux pesticides.
Les cas de figure présentés dans l’ouvrage soulignent ainsi les relations d’interdépendance entre usagers, remettant les humains en lien entre eux et avec les habitants non-humains du territoire. « Il faut cesser de nous imaginer surplombant une nature assujettie, souligne la chercheuse. Cela nous permettra d’apprécier nos besoins au-delà d’une logique de compensation, de redonner du sens à nos actions, d’assumer notre responsabilité agissante alors même que l’incertitude persiste, pour in fine exprimer dans la réalisation de projets de territoires appropriés les modalités d’une justice sociale et écologique toujours perfectible. »
La valorisation du multiusages par la négociation
Tout usager est légitime, et sécuriser les droits locaux pour subvenir aux besoins des différents usagers d’un territoire devient ainsi la norme dans l’approche par les communs. Comment ? En valorisant les usages, en faisant reconnaître la force juridique de pratiques légitimes et répétées qui permettent de faire face aux aléas climatiques, économiques ou sociaux. Ce jeu de négociation s’invite tant au sein des collectifs d’humains et de non humains qui font communauté que dans leurs relations avec l’extérieur.
Loin d’exclure le marché ou l’Etat, les scientifiques avancent une nécessité pragmatique : certains usagers, acteurs privés ou publics, sont en capacité d’investir, y compris dans le cadre de stratégies entrepreneuriales ou de mise en œuvre de politiques publiques, des interstices qui leur permettent de revendiquer des attachements et des intérêts communs.
« Certains territoires voient aussi naître des instances indépendantes, ou en tous cas semi-autonomes, qui peuvent être considérés comme de véritables laboratoires d’innovation sociale. Cette démarche, bien comprise de l’AFD, nous permet aujourd’hui par exemple d’appuyer dans l’Océan Indien la création de living labs, des arènes de concertations citoyennes, pour innover sur la base de nouveaux agencements des savoirs scientifiques et locaux sur la biodiversité. »
Pour fonder une coopération territoriale durable et juste, les différentes parties prenantes sont invitées à produire un nouveau récit dont le maître mot est la solidarité, sociale et écologique. Les auteurs de l’ouvrage revendiquent à la fois la possibilité et l’opportunité de renforcer simultanément le lien social et la conscience écologique à travers une façon attentive et responsable de faire commun.