Mercredi 21 septembre, s’est tenue à New York une assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) portant sur le phénomène de la résistance aux antimicrobiens, qualifié de « menace fondamentale, à long terme pour la santé humaine, la production durable de nourriture et le développement » par le secrétaire général Ban Ki-Moon. Ce problème a pour cause l’abus ou le mauvais usage de médicaments anti-infectieux, à commencer par les antibiotiques, provoquant la mutation des populations de micro-organismes comme les bactéries qui deviennent de plus en plus résistants aux traitements.
Cette réunion à l’ONU a été précédée par la publication d’un rapport de la Banque Mondiale, intitulé « Drug Resistant Infections : a Threat to Our Economic Future » expliquant que le coût annuel de la résistance aux antimicrobiens pourrait devenir aussi lourd pour l’économie mondiale que celui de la crise financière de 2008. Or ce rapport décrit le phénomène de résistance aux antimicrobiens (AMR) comme une forme de « Tragédie des Communs » :
Il est essentiel de contrôler la consommation des médicaments antimicrobiens, car la valeur de cette ressource, et sa durabilité dans le temps, dépendent directement de son taux d’usage. Sans un contrôle et une gouvernance robuste minimisant la surconsommation et les mauvais usages, les antibiotiques et les autres antimicrobiens vont conduire à une exemple classique de « Tragédie des Communs ».
Le rapport se réfère aux travaux de Garrett Hardin et explique qu’on pourrait réguler ce problème en créant par le biais des prix des incitations pour que les acteurs prennent en compte les effets néfastes de la surconsommation. Cet objectif pourrait notamment être atteint par le biais de taxes mises en place par les Etats.
Dans un article publié le 7 septembre sur le site de la revue scientifique Nature, des chercheurs ayant participé à la rédaction de ce rapport adoptent un point de vue un peu différent sur la question, plus proche des travaux d’Elinor Ostrom. Ils estiment en effet que plutôt que d’être combattue par l’Humanité, la population des micro-organismes responsables des maladies infectieuses devrait en elle-même être considérée comme une ressource commune :
L’efficacité des antibiotiques a décliné depuis qu’ils ont été introduits par la médecine moderne il y a plus de 70 ans. Aujourd’hui, notre incapacité à traiter les infections depuis une menace planétaire, comparable à celle du changement climatique. De nouvelles générations d’antimicrobiens ne verront pas le jour avant longtemps et lorsque ce sera le cas, les bactéries, virus et autres microbes muteront pour gagner encore en résistance. Il est impossible en aucune manière de gagner la guerre contre les microbes – nos propres corps et notre planète dépendent d’eux pour leur survie.
S’attaquer au problème de la résistance nécessite une action collective au niveau global. Comme pour la couche d’ozone, le climat ou la biodiversité, la population globale des microbes constitue une ressource commune partagée (Common Pool Resource) par tous. Mais aucun individu ni pays ne possède un pouvoir d’action suffisant pour préserver ce Commun. Il a été saccagé par l’usage massif des molécules antimicrobiennes et par l’avantage compétitif acquis par les microbes résistants. C’est un exemple classique de « Tragédie des Communs ».
L’ONU appelle à présent à la mise en oeuvre d’un plan mondial de lutte contre la résistance aux antimicrobiens élaboré en 2015, qui passe par des solutions permettant de limiter le recours aux antibiotiques, comme la vaccination, l’amélioration de la qualité de l’eau potable, l’assainissement et l’adoption d’une bonne hygiène au sein des hôpitaux et dans le secteur de l’élevage.
Cet exemple montre la capacité de l’approche par les Communs à opérer un changement de paradigme dans l’appréhension des problèmes globaux et leur potentiel pour refaçonner les politiques publiques.