Depuis 2009, le mouvement des Little Free LIbraries se développe en Amérique du Nord. Il promeut l’installation de « boîtes à livres » devant les maisons dans les quartiers de manière à favoriser le partage et la circulation de livres. Une fondation s’est même créée aux Etats-Unis pour soutenir le développement de cette pratique destinée à renforcer les liens de voisinage.
Mais un article du Digital Reader (The Tragedy of The Commons Has Now Come To Little Free Libraries) souligne que face à la multiplication de cas de vandalisme et de pillages de ces boîtes, le mouvement connaît un certain recul aujourd’hui. On rapporte notamment des abus, avec des personnes emportant le contenu de boîtes entières pour les revendre. L’article fait un parallèle entre ces problèmes et une possible « Tragédie des communs », en référence au célèbre article de Garrett Hardin, prétendant démontrer que la destruction des ressources partagées était à long terme inéluctable du fait de la propension des humains à se comporter comme des « passagers clandestins ».
Ce qui arrive aux Little Free Libraries constitue en effet en un sens une confirmation des vues de Garrett Hardin, sans pour autant discréditer la théorie des Communs, bien au contraire. Le contenu de ces boîtes constitue en effet une « ressource en libre accès », telles que celles décrites par Garrett Hardin. Les Little Free Libraries portent normalement une inscription « Take a Book. Return a book », à la fois pour inciter à limiter les prélèvements et à pratiquer une certaine forme de réciprocité. Mais faute de dispositif pour garantir l’application de ces règles de base, la ressource que constituent les livres des Little Free Libraries est en réalité extrêmement fragile aux comportements de passagers clandestins. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’une Tragédie des Communs finisse par se produire.
Dans ses travaux sur la gestion en commun des ressources rivales – ce que sont les livres des Little Free Libraries-, Elinor Ostrom a montré qu’une préservation efficace de la ressource dans le temps nécessitait qu’une communauté d’utilisateurs s’organise autour d’elle et adopte des règles concernant les prélèvements. Par ailleurs, elle insiste sur le fait que la communauté doit se doter de la capacité de surveiller que les règles sont observées et d’un système de sanctions graduées pour punir les passagers clandestins, pouvant aller jusqu’à l’exclusion de la communauté.
Pour qu’un système comme les Little Free Libraries fonctionne dans le temps, il faudrait que ses utilisateurs partagent un ensemble de valeurs communes suffisamment claires et fortes pour qu’une auto-régulation des comportements se produise. C’est sans doute possible à l’échelle d’un quartier où les individus entretiennent des rapports de voisinage et développent des bibliothèques de rue pour les renforcer. Mais l’implantation de ces boîtes dans l’espace public les laisse accessible à un ensemble d’utilisateurs trop vaste pour constituer une « communauté » et sans possibilité de réintroduire un minimum d’excluabilité dans l’accès à la ressource.
Au final, il serait plus juste de dire que les Little Free Libraries ne constituent pas des Communs au sens propre du terme. Elles ne réunissent pas les trois critères fondamentaux que sont une ressource partagée, une communauté organisée d’utilisateurs et des règles définies d’accès et de gestion. Il s’agit simplement d’un système organisant la mise à disposition d’une ressource en libre accès, avec ce que cela peut comporter de fragilité et de vulnérabilité.
A lire également : « Bibliothèques de rue pillées : comment on arrête la casse ? (indice : à grands coups de Commun) », Par Neil Jomunsi. Où il est proposé pour remédier à ces difficultés d’adjoindre aux Little Free Libraries des Pirate Box pour organiser un partage de livres numériques, ressources non-rivales ne pouvant subir de phénomènes d’épuisement par sur-utilisation. Mais un tel dispositif ne pourrait être légal qu’à condition de limiter les fichiers partagés à des oeuvres du domaine public ou sous licence libre.