Dans une tribune publiée le 19 mars 2020 dans Mediapart, Pierre Dardot et Christian Laval – auteurs de « Commun. Essai sur la révolution au XXI siècle » – expliquent que la pandémie du Covid 19 met à l’épreuve la capacité des organisations politiques et économiques à faire face. « Ce que nous vivons laisse entrevoir ce qui, avec le changement climatique, attend l’humanité dans quelques décennies si la structure économique et politique du monde ne change pas. »
Cette analyse met notamment en avant la distinction entre « état souverain » et « service public ».
Article complet sur le site de Mediapart.
Extraits :
« C’est le sens du mot « public » qui doit retenir ici toute notre attention. On s’avise trop peu souvent du fait que, dans cette expression, « public » est absolument irréductible à « étatique ». Car le « publicum » ici désigné renvoie non à la seule administration étatique, mais à la collectivité tout entière en tant qu’elle est constituée de l’ensemble des citoyens : les services publics ne sont pas les services de l’État au sens où L’État pourrait en disposer à sa guise, ils ne sont pas non plus une projection de l’État, ils sont publics en ce qu’ils sont « au service du public ». Ils relèvent en ce sens d’une obligation positive de l’État à l’égard des citoyens. Autrement dit, ils sont dus par l’État et les gouvernants aux gouvernés, loin d’être une faveur que ferait l’État aux gouvernés, comme la formule d’« État-providence », polémique car d’inspiration libérale, donne à l’entendre […]
C’est pourquoi les services publics relèvent du principe de la solidarité sociale, qui s’impose à tous, et non du principe de la souveraineté qui est incompatible avec celui de la responsabilité publique. […]
Les citoyens de nombreuses villes espagnoles ont ainsi applaudi de leurs balcons les équipes des services sanitaires, quelle que soit par ailleurs leur attitude à l’égard de l’État unitaire centralisé. C’est que les deux choses doivent être soigneusement disjointes. L’attachement des citoyens aux services publics, en particulier aux services hospitaliers, n’est en rien une adhésion à l’autorité ou à la puissance publique sous ses différentes formes, mais un attachement à des services qui ont pour finalité essentielle de pourvoir aux besoins du public. Loin de manifester un repli identitaire sur la nation, cet attachement témoigne d’un sens de l’universel qui traverse les frontières et nous rend si sensibles aux épreuves vécues par nos « concitoyens en pandémie », qu’ils soient italiens, espagnols, et finalement européens ou non.[…]
On ne peut ajouter foi à la promesse de Macron selon laquelle il serait le premier à mettre en cause « notre modèle de développement » après la crise. On peut même légitimement penser que les mesures drastiques en matière économique répèteront celles de 2008 et viseront un « retour à la normale », c’est-à-dire la destruction de la planète et l’inégalisation croissante des conditions sociales. On doit plutôt craindre dès maintenant que l’énorme facture pour « sauver l’économie » ne soit à nouveau présentée aux salariés et aux contribuables les plus modestes. Pourtant, à la faveur de cette épreuve, quelque chose a changé qui fait que rien ne pourra plus être tout à fait comme avant. Le souverainisme d’État, par son réflexe sécuritaire et son tropisme xénophobe, a fait la preuve de sa faillite. Loin de contenir le capital global, il en aménage l’action en exacerbant la concurrence. Deux choses sont désormais apparues à des millions d’hommes. D’une part, la place des services publics comme institutions du commun capables de mettre en œuvre la solidarité vitale entre humains. D’autre part, le besoin politique le plus urgent de l’humanité, l’institution des communs mondiaux. Puisque les risques majeurs sont globaux, l’entraide doit être mondiale, les politiques doivent être coordonnées, les moyens et les connaissances doivent être partagées, la coopération doit être la règle absolue. Santé, climat, économie, éducation, culture ne doivent plus être considérées comme des propriétés privées ou des biens d’État : ils doivent être considérés comme des communs mondiaux et être institués politiquement comme tels. Une chose est désormais sûre : le salut ne viendra pas d’en haut. Seules des insurrections, des soulèvements et des coalitions transnationales de citoyens peuvent l’imposer aux Etats et au capital. »