À l’aube, ce lundi 4 juillet, alors que les premières lueurs laissent deviner la majestueuse cordillère des Andes enneigée, les constituants des peuples originaires se réunissent sur la « colline Huelen » de Santiago. La machi — guérisseuse mapuche — convoque les ancêtres aux sons des tambours pour bénir cette nouvelle Constitution. Parmi les 154 constituants qui ont travaillé jour et nuit pour écrire le nouveau texte fondateur, 17 sont des représentants des peuples originaires. Pendant cette année d’écriture, ils ont obtenu que le Chili se reconnaisse comme un État « plurinational, interculturel et écologique », en alliance avec les constituants portés par les mouvements écologistes. Ils inscrivent aussi dans la nouvelle Carta Magna – selon l’expression couramment utilisée par les constituants et par les médias chiliens – que l’être humain « a une relation indissoluble avec la nature ».
Après cette cérémonie atypique du petit matin, les constituants vêtus de leurs costumes traditionnels ont traversé le centre-ville jusqu’à l’ancien Congrès national. À l’entrée du bâtiment, les membres de l’Assemblée ont partagé leurs impressions avec la presse nationale et internationale, présente en nombre. Elisa Loncón, constituante mapuche, première présidente de l’organe rédacteur, s’est dite « satisfaite et fière du texte constitutionnel qui est présenté aux citoyens ». Elle considère qu’à travers ses 388 articles, « la nouvelle Constitution répond aux inspirations et garantit le droit à l’éducation gratuite et à la santé publique, le droit à vivre dans un environnement sain » et que « cela correspond aux demandes de la révolte sociale de 2019 ».
« L’eau comme bien commun inappropriable »
Au delà de garantir des droits sociaux fondamentaux, cette nouvelle Constitution est particulièrement novatrice sur le plan écologique. La proposition constitutionnelle reconnaît que « l’humanité se confronte à une crise climatique et écologique qu’elle doit prendre en charge ». Elle consacre des « droits à la nature » et constitue ainsi un fondement constitutionnel à l’écocide. La nouvelle Carta Magna octroie également « une protection aux écosystèmes tels que les glaciers et les zones humides » et reconnaît « l’eau comme bien commun inappropriable ». Ces deux derniers ont fait l’objet de débats mouvementés lors des douze derniers mois. Le Chili exploite tous ses sous-sols, glaciers y compris, pour extraire son cuivre (1er producteur mondial) ou son lithium, et a privatisé ses eaux au bénéfice de l’agro-industrie. Constanza San Juan, constituante originaire de la vallée du Huasco qui a arrêté un projet minier dans un glacier en 2018, a « rempli sa mission en garantissant la protection des glaciers ». Elle reste néanmoins prudente « face à la montée en puissance de la campagne de rejet ».
À 10 h, l’actuelle présidente de la Convention constituante, Maria Elisa Quintero, fait retentir la clochette dorée et déclare ouverte la 110e séance. Quelques minutes plus tard, le jeune président progressiste Gabriel Boric fait son entrée, accompagné de ses complices de la révolte étudiante de 2011 qui les a menés au pouvoir. Izkia Siches, ministre de l’Intérieur, Giorgio Jackson, secrétaire général du président, et Gabriel Boric — la trentaine tous les trois — ont signé le décret qui convoque le référendum du 4 septembre prochain qui approuvera ou rejettera le nouveau texte fondateur.
La nouvelle Constitution n’enterrera le texte actuellement en vigueur, et hérité de la dictature d’Augusto Pinochet, que si le « Oui » l’emporte. L’issue du scrutin ne va pas de soi malgré les résultats des quatre dernières élections qui ont fait basculer le pays à gauche. Ces douze derniers mois ont été marqués par une campagne de dénigrement que les défenseurs du oui vont devoir dissiper.