Le média d’information local Dijoncter.info publie la retranscription de l’intervention orale intitulée « Droit et communs » qu’a tenue Isabelle Stengers le 26 janvier 2019 dans le cadre de conférence « Résurgence Communes », organisée par le groupe « Politique urbaine » du Quartier Libre des Lentillères à Dijon, qui a pour ambition de repenser la propriété et la métropolisation, et de prendre au sérieux la question des communs.
Isabelle Stengers nous invite à découvrir un pan entier de la pratique des communs à travers les figures des commoners passés et présents, qu’ils résistent à leur écrasement ou qu’ils ressurgissent là où on ne les attend pas.
L’intégralité de l’intervention d’Isabelle Stengers est à retrouver sur le site Dijoncter.info.
Sommaire :
- Commons résistants & commons résurgents
- Résistances
- Résurgences
- Résister au droit à la négligence
- Interdépendance et êtres ferraux
- Pour un droit des communings
- No commoners without communing
- Le génératif, cet inconnu en qui on a confiance
- La pratique générative contre l’enfermement sectaire
- Le droit comme ressource
- Ramener le droit sur terre
Extrait :
Le droit comme ressource
Disons que le droit continue à nous intéresser là-dedans parce que l’idée de non-droit n’est pas une idée. Si on fécondait les droits coutumiers, c’est une idée qu’aucune culture n’a jamais eu. Le non-droit c’est une idée violente en fait, qui sert d’ailleurs beaucoup aux adversaires. Quel est le droit qui conviendrait aux commons en tant qu’ils sont génératifs ? Ce qui effectivement dans ce cas fait que le droit abandonne sa figure de pseudo-science universelle. Si il y a intervention du droit, celui qui intervient en tant que juriste vient avec le souci de comment contribuer à cette cause que ce common continu. C’est donc la continuation du common qu’il s’agit de protéger, en apprenant sur les commons, c’est en entrant dans la matière vivante, sociale, des commons qui sont en difficultés, puisqu’il y a intervention juridique, qu’on peut être éventuellement pertinent. Il y a un exemple qui peut être intéressant c’est celui de la justice de voisinage : le juge de voisinage, il n’intervient pas en disant : « Dura lex, sed lex [La loi est dure mais c’est la loi]. » Sa première motivation c’est de ramener la paix, ce n’est pas de faire en sorte qu’une fois passée la justice, derrière elle tout est à feu et à sang, ce n’est pas ce pour quoi intervient le juge. Il y a ce type de droit-là, où justement le problème c’est de voir quels seraient les compromis qui seraient compatibles avec certains principes.
Bon il y a des choses avec lesquels on ne veut pas faire de compromis. Je rentrerai pas dans les détails de ça et je m’en fiche d’ailleurs. Ce qui est intéressant c’est que le droit à ce moment-là fait partie du milieu des commons, devient une des ressources auxquels des commoners peuvent s’adresser, s’ils n’arrivent plus à s’en sortir par leurs propres moyens. Ils peuvent le faire avec la confiance que celui qui vient, vient pour aider à ce qu’ils surmontent le problème en continuant dans leur apprentissage génératif.
Ramener le droit sur terre
Dans ce cas-là, contrairement au droit usuel, universel, il n’y a pas d’externalisation des conséquences. L’un des grands triomphes du capitalisme, comme vous le savez, c’est l’externalisation des conséquences : compte comme profit ce que nous extrayons, et est passé aux pertes et profits les dégâts que cela engendre, que ce soit écologique, environnemental, social, etc, cela n’a pas de prix, pas de valeur marchande et c’est justement pour cela qu’on a pas besoin de le faire rentrer dans nos comptes. Ici ce serait donc un droit qui ne peut pas, pas plus que la justice de voisinage, externaliser ses conséquences. Il ne s’agit pas que le droit passe, aveugle à ses conséquences. Ça veut dire qu’un État de droit où tout le monde est traité de manière équivalente, c’est-à-dire Monsanto comme le dernier des sans-domicile fixe, c’est pas le droit qui peut continuer comme seul évident. Et c’est l’imagination des juristes sur le fait que ce qu’ils pensaient comme une modernisation du droit compris comme universel, comme un devenir commun, comme une grande conquête de l’humanité où un justiciable vaut comme un autre justiciable, c’est par rapport à cela que les juristes doivent reprendre une imagination et quitter le : « Oui, on sait bien qu’entre Monsanto, Carlos Ghons et le dernier des SDF il y a tout de même une différence, mais l’important c’est qu’elle ne compte pas officiellement. » Et bien non, justement, l’important c’est qu’elle compte même si c’est pas officiel ! C’est quelque chose que j’aime bien chez Bruno Latour : ramener le droit sur terre, au lieu de l’envoyer dans le ciel des idées de l’égalité formelle. C’est en cela que la notion de résurgence nous rappelle l’hostilité de ce milieu qu’est le droit formel qui rêve dans les étoiles et écrase la terre.
[…] tout d’abord au média “les communs d’abord” pour leurs mises en avant si […]