le Réseau des Géographes Libertaires organise ses Journées d’Études à Saint-Denis du 24 au 26 mai 2018. Les deux premières journées seront consacrées à une série de conférences sur le thème « Commun·e·s – Actualité du Municipalisme Libertaire », et se tiendront à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis. Le vendredi soir et le samedi auront lieu différents événements de géographie « débridée » tant sur la forme que sur le fond ; ils auront lieu à la Dionyversité – l’Université populaire de Saint-Denis.
Commun·e·s : Actualité du municipalisme libertaire.
A l’heure de la métropolisation et de la fusion-agrandissement des collectivités territoriales en France, le thème choisi par le Réseau des Géographes Libertaires pour ses 5e journées d’études peut paraître incongru. L’observation de terrain, l’analyse théorique et l’implication militante, triple pilier de l’action de ses membres, justifient pourtant ce choix.
Les sciences sociales accumulent depuis plus de deux décennies les recherches portant sur les reconfigurations du « local » et de la « proximité » dans une dynamique contraire mais néanmoins intrinsèquement liée à celle de la mondialisation. Leurs analyses détaillent la façon dont des projets « à échelle humaine », sans intermédiaires, sont conçus et mis en œuvre par des personnes regroupées sur une base affinitaire ou un engagement personnel. La remise en cause de l’État comme unique échelle de légitimité et de solidarité s’accompagne d’une effervescence d’expérimentations, plus ou moins nouvelles, s’affichant plus ou moins politisées, et se positionnant de diverses manières à l’égard de l’État (dans mais sans / hors / contre / avec). Ces initiatives, qui s’inscrivent dans des territoires divers, partagent un ensemble de principes d’organisation et d’action mais se distinguent dans leurs contenus et les groupes sociaux qu’elles concernent. La volonté de s’organiser indépendamment de l’État et / ou du marché s’est aujourd’hui banalisée. Ce qui est mis aujourd’hui au travail ce sont les modalités de sa mise en œuvre pratique : quel positionnement à l’égard des normes, et quelle marge de manœuvre ? des aides financières et de la protection sociale ? des lois et du système juridique ? de la propriété foncière ? de reconfigurations politiques à l’échelle locale impulsées par l’État ? etc. Mais aussi : quelles ressources trouver dans la confrontation de différents appareils d’État ? Comment jouer sur les contradictions de l’État sans entrer en contradiction avec ses propres objectifs ?
D’autre part, les modalités classiques de la prise de décision en démocratie représentative sont remises en cause. Les différents scrutins électoraux connaissent désormais une abstention toujours élevée. La signification politique de cette abstention devient évidente. Des listes « citoyennes », revendiquant parfois des formes de « démocratie directe », se multiplient dans de nombreuses communes. Elles s’inscrivent toutes dans une recherche d’horizontalité qui questionne, en miroir, les dispositifs centralisés des pouvoirs en place, et le transfert des compétences territoriales à des communautés de communes ou d’agglomération qui s’étendent toujours plus. Au-delà du jeu électoral, en zone urbaine comme en zone rurale, des collectifs s’organisent localement pour se réapproprier leurs lieux de vie, décider de la façon dont ils souhaitent vivre ensemble leur territoire. Ces initiatives peuvent prendre la forme d’assemblées qui transcendent les périmètres administratifs et correspondent d’abord aux échelles vécues par les habitant·es concerné·es, ou plutôt qui se sentent concerné·es.
Par ailleurs, les mouvements sociaux prennent de plus en plus la forme de mouvements spatiaux. Les ZAD, le mouvement des places, les occupations de lieux sont devenus les formes privilégiées de contestation et d’opposition au système capitaliste et à l’autorité d’État. Ce phénomène interpelle l’ensemble des sciences sociales et tout particulièrement le ou la géographe qui peut y voir comme un point d’orgue du spatial turn évoqué dans les années 1990. La contestation par occupation a des origines anciennes et les initiatives récentes s’inscrivent dans une filiation conséquente. Mais ce qui interpelle aujourd’hui, c’est leur généralisation. L’opposition par l’occupation de l’espace, par l’imposition des corps et la construction ici et maintenant d’une vie alternative, est devenu un moyen d’action fondamental. Même des élu·es de la « République » en appellent parfois à une ZAD pour ne pas se faire imposer tel ou tel projet d’aménagement, alors qu’au sein de ces mouvements, des composantes refusent justement de jouer le jeu du « citoyennisme » et de la représentation électorale.
Ces journées discuteront notamment de la notion de municipalisme libertaire, théorisée par Murray Bookchin, à partir des années 1990. Cette pensée influence parfois, et questionne certainement, les initiatives et mouvements évoqués ci-dessus. Que puise-t-elle dans des expériences passées d’appropriation du pouvoir d’agir et de construction de l’Etat par ascendance, comme la révolution cantonale lors de la première République espagnole ? La pensée du municipalisme libertaire est-elle similaire au communalisme insurrectionnel ? Ce municipalisme libertaire représente-t-il une nouvelle voie stratégique, qui le distinguerait du municipalisme de base refusant l’électoralisme ? Bookchin effectue-t-il le bon diagnostic en affirmant que l’anarchisme dit classique refuserait des « structures » ? Fonde-t-il sa commune, cellule de mobilisation et de projet, sur une base organique ou territoriale ?
Toutes ces expériences nourrissent la pensée libertaire et renouvellent la dimension spatiale du projet anarchiste. Mais l’émancipation individuelle et collective de toutes les formes de domination est-elle nécessairement un objectif de ce qui relève de démocratie directe, de citoyennisme, d’assembléisme, de coopérativisme, d’auto-gouvernement, de localisme, d’économie sociale et solidaire ? Qu’est-ce qui distingue le commun comme projet politique émancipateur de la simple ressource gérée collectivement ? Historiquement, le mouvement anarchiste fut d’abord collectiviste avant que de se considérer comme communiste libertaire, mais le débat n’a jamais été clos à ce sujet. Il revient à l’ordre du jour suite à la faillite du communisme autoritaire dont on peut se demander s’il ne revient pas subrepticement par le biais des courants marxiens ou religieux qui mettent en avant le « commun » et les « biens communs » (terme forgé par le théologien chrétien Augustin d’Hippone). Mais « commun » et « collectif » désignent-ils la même chose ? Sont-ils porteurs des mêmes enjeux politiques ? Comment penser la propriété dans une perspective émancipatrice ?
Réinvestir la notion de « commune », conçue comme processus d’émancipation et d’organisation en construction permanente, doit permettre de faire dialoguer des pensées du 19e siècle avec celles d’aujourd’hui. Il s’agit de confronter les expériences fondatrices avec les plus récentes en France, en Europe et ailleurs dans le monde. Notion-pivot, la « commune » peut constituer l’outil privilégié d’une géographie critique de l’action publique, de l’organisation du territoire et des mouvements sociaux.
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