Dans un entretien avec Emile Marzolf pour le media Acteurs Publics publié le 11 mars 2022, Olivier Jaspart, conseiller juridique d’une commune en Seine-Saint-Denis, explique pourquoi l’émergence des communs administratifs soutenus par l’État appelle à l’invention d’un réel droit administratif des biens communs pour encadrer les nouvelles postures de l’administration. Un entretien à consulter dans son intégralité sur le site du media Acteurs Publics.
Extrait :
Le début du XXIe siècle est marqué par le besoin accru de penser et de développer les cadres de coopération entre les individus et les institutions, alors que, paradoxalement, les politiques publiques menées conduisent vers une augmentation de la mise en concurrence des projets et à des compétitions entre ces acteurs. Aussi, cette dualité oblige l’administration à se replacer dans un nouveau contexte, à s’inscrire dans une relation qui n’est plus surplombante à l’égard des citoyens. L’ubérisation de la société et de l’administration a conduit l’État à s’envisager dans une forme de “réseau social”, comme une plate-forme sur laquelle peuvent s’appuyer les citoyens pour répondre à leurs propres besoins.
Ainsi, dans la continuité de la notion de “Big Society”, l’administration doit non seulement laisser faire les citoyens et les entreprises, mais aussi contribuer à l’émergence de leurs initiatives, sans volonté réelle d’incitation ou de d’interférence. Aussi, loin d’être stratège, l’État se veut être l’interface ouvrant un champ des possibles à l’exercice des activités privées. Cependant, cette conception d’une telle administration publique oblige notamment à repenser le service public et les prestations d’intérêt général. Ainsi, l’État se transforme, au travers de la numérisation, en véritable “hub”, nœud, de services à rendre au public, concentrant ses efforts sur des politiques publiques nodales, sinon stratégiques. Cette nouvelle place de l’administration l’oblige à accepter l’entrée dans le champ du droit public d’une plus grande variété d’acteurs privés. Aussi, par effet miroir, le développement du champ de l’économie sociale et solidaire dans l’ordre judiciaire provoque un développement d’une autre forme d’économie mixte dans l’ordre administratif. Cette entrée d’acteurs privés nécessite une atténuation des principes de libre concurrence, voire leur annihilation au profit d’une plus grande coopération entre eux pour atteindre et concourir à l’intérêt général.
Ainsi, le législateur redécouvre une manière d’administrer les choses par l’administration, autrement que par le service public, en fédérant différentes parties prenantes d’un même écosystème pour définir ensemble les règles de son organisation. Sous la forme de “commun”, il se crée une institution juridique dotée d’un régime de droits dérogatoire obligeant une communauté d’ayants droit à contribuer à la préservation d’une chose ou d’un bien commun. Cette institution définit les règles permettant l’octroi d’un droit d’usage pérenne du bien mis en commun. Plus ce régime de droits est dérogatoire, notamment du point de vue du droit de la propriété privée ou du droit de la concurrence, plus le commun sera soumis aux règles du droit administratif. Il sera alors qualifié de “commun administratif”. Une telle association des parties prenantes à l’exécution d’une ambition commune ne saurait se résoudre à la simple concertation préalable à l’édiction d’une mesure de police administrative, ou encore à la participation du public à la réalisation d’un service public. Il s’agit, au contraire, d’une nouvelle discipline du droit public en devenir : un droit administratif des biens communs.
Source : Acteurs Publics