Alors que le 6 avril 2018 marquait le début du démantèlement de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, architectes, urbanistes, penseurs, citoyens… se sont mobilisés en publiant sur Mediapart une tribune pour défendre cette expérimentation, grandeur nature, de construction d’un territoire commun, au-delà de la propriété, des habitudes et des appartenances.
Source : Tribune publiée sur Médiapart
Appel à rejoindre : Défendre d’autres manières d’habiter
Le 17 janvier 2018, l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes marque le succès d’une des plus longues luttes de France et résonne comme un espoir conséquent pour tous ceux qui luttent pour l’écologie. Pourtant le gouvernement menace toujours d’expulser la zone. C’est pourquoi des architectes, urbanistes, penseurs, citoyens… se sont mobilisés pour écrire cette tribune et défendre cette expérience d’avenir.
La victoire contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes est celle d’une mobilisation large et diverse. Dans la multiplicité des moyens de lutte qui y ont contribué, la résistance par l’occupation pérenne de la zone à défendre (ZAD) a une place primordiale. En continuant à faire vivre ce territoire, les anciens et les nouveaux habitants ont permis pendant plus de dix ans d’empêcher la destruction des terres naturelles et agricoles. Ils ont pris soin de ces espaces en élaborant de nouvelles formes d’organisations collectives et en développant des activités : menuiserie, boulangeries, cultures collectives de légumes et de céréales, bûcheronnage, bibliothèque, vergers, brasserie, fromagerie, conserverie, forge, tannerie, herboristerie, musique, sérigraphie… Ils ont ainsi démontré qu’il était possible de vivre autrement, loin des scénarios étatiques d’une agriculture industrielle et standardisée, tant à travers des modes de construction autres que des façons d’imaginer un avenir viable et durable pour les territoires ruraux et agricoles.
Un territoire en commun
Dans ce bocage se sont inventées et tissées des formes de vies diverses, aspirant à une meilleure harmonie avec le territoire qu’elles occupent. Dans les interactions entre habitants « historiques », paysans, squatteurs, voisins, animaux sauvages ou d’élevage, herbes, insectes et arbres, mais aussi avec toutes celles et ceux qui passent par là, amis, étudiants, militants, voyageurs, artisans, s’est construit un territoire commun, au-delà de la propriété, des habitudes et des appartenances. Cette expérimentation grandeur nature et à long terme amène chacun à évoluer dans ses représentations et ses pratiques, bien au-delà de ce bocage. En cela, l’horizon joyeux qu’ouvre la ZAD ailleurs que dans les métropoles nous concerne tous.
Habiter et bâtir autrement
La ZAD, c’est aussi l’aventure de ses constructions. Ce sont des corps de ferme rénovés lors de grands chantiers collectifs, de nouveaux hangars agricoles aux charpentes impressionnantes ; c’est aussi la force poétique des nombreuses cabanes dans les arbres, au milieu d’un lac, au coin d’une friche, ou d’un champ ; c’est aussi la présence d’habitats légers ou nomades, camions, caravanes, yourtes qui complètent ce paysage habité.
Hors-norme, multiples, divers, poétiques, adaptés, bidouillés, légers, sobres, précaires, faits de matériaux locaux ou de réemploi, en terre, en bois, en paille ou en récup, ces constructions répondent à leur échelle aux enjeux écologiques et énergétiques, à rebours du monde que l’industrie du béton et de l’acier est en train de construire partout sur la planète. Elles sont aussi le résultat d’une inventivité architecturale, manuelle, bricoleuse et créative, favorisée par la stimulation collective de la ZAD, poussant les gens, habitués ou débutants, à se réapproprier l’acte de construire. La multiplicité des formes construites montre des possibilités d’habiter et de bâtir hors des logiques foncières et immobilières basées essentiellement sur la spéculation qui laissent peu de latitude aux habitants et aux architectes pour proposer des solutions alternatives.
Qui a traversé ce territoire, qui a participé à ses chantiers, sait la valeur des forces qui ont pu rénover ces fermes et construire ces cabanes. Car bien loin de l’image autarcique véhiculée à son encontre, la ZAD est un espace de passage, d’échange, un lieu qui fait école ; école de la vie, mais aussi école de l’habiter et du bâtir.
Ce qui s’y joue, c’est l’invention d’un vernaculaire contemporain fait d’enjeux mondiaux et de matériaux locaux. Ce qui s’y joue, c’est aussi la défense d’un patrimoine vivant issu d’une lutte solidaire qui ouvre nos imaginaires.
Contre la destruction de la ZAD
Nous sommes conscients que rendre nos sources d’énergie plus propres, nos bâtiments plus écologiques et nos villes plus vertes ne suffira pas à assurer un avenir soutenable. L’importance de trouver des formes de vies plus sobres en énergie et en ressources dans lesquelles s’engager pleinement, nous amène donc ici à défendre la ZAD, ses habitants, et leurs lieux de vie.
Au vu de la complexité de la situation, le débat autour de la légalité ne saurait aboutir à une résolution par la précipitation, la force et la destruction. C’est pourquoi un gel des terres et l’ouverture du dialogue réclamé par le mouvement anti-aéroport est la seule proposition qui fait sens.
Nous nous opposons donc à l’expulsion des habitants de la ZAD ainsi qu’à la destruction des formes d’organisation collective et des constructions atypiques qui s’y sont développées et s’y développent encore. Nous nous engageons à défendre ce qui s’y vit et affirmons que ces nouvelles manières de construire et d’habiter sont aujourd’hui légitimes et nécessaires au regard des enjeux auxquels font face nos sociétés.
Premiers Signataires :
– Patrick Bouchain, architecte
– Gilles Clément, paysagiste
– Thierry Paquot, philosophe
– Philipe Descola, anthropologue
– Michel Lussault, Géographe
– Dominique Gauzin-Müller, architecte
– Philippe Madec, architecte
– Alain Bornarel, Ingénieur ECP
– Isabelle Stengers, philosophe
– Christophe Bonneuil, historien
– Florence Bouillon, sociologue et anthropologue
– Collectif Etc, constructeurs et architectes
– Jean-Louis Violeau, sociologue
– Yvan Detraz, architecte, Bruit du frigo
– Thibault Barbier, ingénieur, paysagiste et urbaniste, Atelier Georges
– Philippe Declerk, architecte et anthropologue
– Christophe Laurens, architecte
– Tibo Labat, architecte
– Pierre Charbonnier, philosophe
– Julien Beller, architecte
– Luc Gwiazdzinski, géographe
– Grégory Deshoullière, doctorant en anthropologie
– Alessandro Pignocchi, auteur de BD
– Nicolas Haeringer, 350.org
– Cyrille Hanappe, architecte
– Hubert Tonka, sociologue
– Borha Chauvet, habitante de la planète terre
– Bonnassie Camille, architecte
– Collectif Adret
– Loup Verlet, physicien
– Prune Missoffe, sociologe
– Frédéric Barbe, géographe
– À la criée, collectif d’édition
– Stéphane Verlet-Bottéro, commissaire d’exposition
– Antonin Verlet-Banide, doctorant en météorologie
– Daniel Blanchard, traducteur
– Hélène Arnold, traductrice
– Olivier Leclerq, architecte
– Margaux Vigne, paysagiste
– Barbara Glowczewski, anthropologue
– Jean-Louis Tornatore, socio-anthropologue
– Les saprophytes, collectif de paysagistes et d’architectes
– Sezin Topçu, historien des sciences
– Ludivine Bantigny, historienne
– Pierre Mahey, sociologue
– Anne-Lise Gruet, architecte
– Amélie Allioux, architecte
– Maud Nÿs, architecte et doctorante
– Raphaël Padiou, paysagiste concepteur
– Gaëlle Le Chléac’h, paysagiste concepteur
– Jennifer Druet, architecte
– Pierre de Jouvancourt, philosophe
– Baptiste Martin, ébéniste et architecte
– Nicolas Monnot, Archivox, Common Langage, Design Civique
– Armelle Tardiveau, architecte
– Etienne Pageault, designeur
– Julien Dupont, artisan
– Malou Delplancke, biologiste
– Gerald Gribé, architecte
– Marion Delplancke, comédienne et metteure en scène
– Denis Delplancke, ingénieur agronome
– Michèle Jeannin, enseignante
– Fanny Lopez, maîtresse de conférences ENAV&T de Marne-la-Vallée
– Timothée Raison, architecte et charpentier
– Julien Perraud, architecte
– Metastasis, collectif d’architectes
– Mattia Paco Rizzi, architecte et artiste
– Baptiste Boulba-Ghigna, scénariste et philosophe
– Maud Alpi, réalisatrice
– Collectif mit, architectes
– Germain Meulemans, Anthroplogue
– Edith Hallauer docteure en urbanisme
– Damien Najean, architecte
– Andréas Campagno, architecte
– Maléna Demierre, monteuse
– Jean-Baptiste Bahers, ingénieur
– Vacance Collective, collectif de constructeurs et d’architectes
– Agnès Deboulet, sociologue
– Quatorze, collectif d’architectes
– Jean-Michel Fourniau, sociologue
– Georges Heintz, architecte
– Marie-Helène Bacqué, sociologue et urbaniste
– Geneviève Pruvost, sociologue
– Guillaume Gourgues, science politique
– Guillaume Faburel, géographe
– Sylvain Adam, association APPUII
– Benjamin Chambelland, paysagiste
– Thibaud Cavailles, doctorant en géographie, urbanisme et aménagement
– Céline Tcherkassky, Architecte ICI
– Frantz Daniaud et Mathieu Cirou, urbanistes, esPASces POSSIBLES
– Catherine Martin-Payen Dicko, cineaste et muséographe
– Paul Chantereau, Architecte
– Collectif Formes Vives, graphistes
– Thomas Moreau, urbaniste et rédacteur chez Ballast
– Jérôme Lèbre, philosophe
– Mathias Rollot, architecte
– Caroline Gallez, chercheuse HDR à l’IFSTTAR
– Champ Libre, coopérative à finalité sociale
– Claire Mélot, architecte, Berlin
– Chloé Gautrais, étudiante en architecture
– Emilie Hache, philosophe
– Pascale Joffroy, architecte
– Alexandre Cheikh, étudiant en architecture
Contacts
defendre.habiter@gmail.com
Baptiste Martin / 06.74.56.09.95