Au 9e jour de l’opération militaire sur la Zad, Reporterre publie une analyse de ce qui se joue à Notre-Dame-des-Landes, au prisme des communs.
L’État veut récupérer le contrôle de terres. Il délégitime les revendications zadistes au nom de la propriété privée. Reporterre met en perspective cette notion inséparable du capitalisme.
« Barrez-vous, c’est pas chez vous, ici ! » Ce mardi, au 9e jour de l’opération militaire sur la Zad, l’ardeur des militants à protéger « leur » territoire face à l’État et ses représentants armés ne faiblissait pas.
Pourtant, depuis l’abandon officiel du projet, le 17 janvier, il n’est pas rare d’entendre d’anciens opposants au projet d’aéroport critiquer les zadistes : maintenant qu’ils ont gagné, ils devraient retourner à une vie normale, dans les règles, et n’auraient plus rien à faire sur des terres qui ne leur appartiennent pas. Car, c’est bien l’État qui est propriétaire des terres occupées, et n’est-il pas logique qu’il cherche à remettre la main sur l’usage qui en est fait ?
Juridiquement, il est difficile de soutenir le contraire. Mais pas du point de vue de la légitimité : les zadistes ont contribué à défendre et à sauver ces lieux du bétonnage, ils devraient pouvoir continuer à y vivre et travailler. Maeva a habité quelque temps sur la Zad, et vit aujourd’hui en squat, près de Bordeaux. Selon elle, « on peut être légitimement occupant, habitant, autrement que parce qu’on a de l’argent. Quelqu’un qui vit sur un terrain qu’il connaît comme sa poche, le cultive, est plus légitime que quelqu’un qui arrive avec plein d’argent ».
« En France, on croit que la propriété privée a toujours existé »
Depuis quelques années, la notion de « communs » fait son retour. Il s’agit de concevoir des formes d’organisation selon lesquelles la propriété ou les droits d’usage sont collectifs. Reporterre avait d’ailleurs imaginé que Notre-Dame-des-Landes, débarrassée d’aéroport, devienne un bien commun. Or jusqu’ici, l’État refuse tous les projets qui ne sont pas individuels, y compris ceux portés par un collectif d’habitants (comme l’a montré l’expulsion des Cent Noms, mardi dernier). Comment expliquer cette raideur institutionnelle ?
Pour Étienne Le Roy, professeur émérite d’anthropologie du droit à Paris 1, et ancien directeur du Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, « l’inculture générale des Français est incroyable ». « On croit que la propriété privée a toujours existé, alors que, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle en France, il y avait des propriétaires, mais pas de régime juridique organisé de propriété », rappelle-t-il.
Selon lui, nous, Occidentaux, serions tellement convaincus de la supériorité de notre modèle d’organisation, fondée sur la propriété privée, que nous aurions absolument oublié qu’il en existe d’autres. « Au moins un tiers de l’humanité continue à vivre avec des principes d’organisation qui n’ont rien à voir avec ce qu’on entend : une grande partie des sociétés africaines continuent à organiser leur vie économique, sociale et politique selon des principes immémoriaux et infiniment plus efficaces que ce que l’on croit. »
- Dimanche 15 avril, sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes.
Même constat pour Grégory Quenet, professeur d’histoire de l’environnement à l’université de Versailles-Saint-Quentin. « Il n’y a pas de système de propriété unique et intangible », affirme-t-il. Pour preuve, il cite différentes formes de communs. Par exemple la pratique des assolements, un système agricole où les cultures et leurs rotations étaient décidées par la communauté et ensuite imposées aux cultivateurs. « On était propriétaire de sa terre, mais on ne décidait pas de ce qu’on y produisait », explique Grégory Quenet.
Autres exemples, les cas d’appropriation des terres d’autrui : « Lors des colonisations, il a fallu justifier l’accaparement des terres. En Amérique, les puritains anglais ont pris la terre des Indiens en disant : “Ils ne travaillent pas la terre, ne créent pas de richesse.” » À chaque fois, précise Grégory Quenet, le nouveau régime de propriété est garanti par une souveraineté, un système de pensée ou de croyances (en l’occurrence, la Couronne d’Angleterre).
« Une sorte de colonisation intérieure » menée au nom de l’État de droit
Au XXe siècle encore, le discours colonialiste et libéral cherchait à discréditer la propriété collective et les communs. Avec deux arguments : leur inefficacité en matière de rendements, et l’anarchie qui en résulterait. En 1968 paraît un article qui fera date, signé du biologiste Garreth Hardin, « la tragédie des biens communs » : l’auteur affirme que la propriété collective conduit à la destruction écologique, et qu’il vaut donc mieux privatiser la terre. « C’est un argument en faveur des programmes d’aide au développement en Afrique et de la privatisation des terres », explique Grégory Quenet. Aujourd’hui encore, les tenants du libéralisme affirment « l’absence de soutenabilité » de la Zad, qu’ils expliquent par « les étranges conceptions économiques des zadistes, qui ont posé le principe du “prix libre” en opposition explicite aux lois du marché ». […]
« Apprenez à voir au lieu de regarder ! »
Berthold Brecht
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