La designer Camille Bosqué, enseignante à l’école Boulle et à l’Ensci-Les Ateliers et spécialiste du mouvement maker, publie en juin 2022 un article dans la revue AOC intitulé Concevoir et produire localement : l’urgence d’un design « ouvert » et en commun.
Au début de la pandémie, la pénurie de masques a révélé, par contraste, l’efficacité des makers pour structurer rapidement une réponse productive fiable face à la fragilité des chaînes d’approvisionnement en matériel médical. Seuls ou en collectifs, ceux-ci ont en effet mis à disposition des modèles d’équipements de protection en open source, en s’organisant le plus souvent en ligne pour en assurer la production et la distribution. Le mouvement maker pourrait dès lors ouvrir la voie à des formes d’indépendance vis-à-vis des systèmes de production capitalistes.
Article à lire dans son intégralité sur AOC Media.
Extrait :
Dans les FabLabs, hackerspaces, makerspaces et autres ateliers collectifs, on invente aujourd’hui les règles d’un design qualifié parfois de participatif, qui n’est pas seulement entre les mains des professionnels. C’est un design ouvert, diffus : les objets qui y voient le jour montrent comment ils sont construits, peuvent être reproduits, détournés (« forkés »), et adaptés. Ils sont produits à petite échelle et de manière locale. Lors de la pandémie du Covid-19, les réseaux de makers nationaux et internationaux ont su montrer leur efficacité pour proposer une réponse efficace face à la pénurie d’équipements médicaux et de protection individuelle. Quelles leçons tirer de cette libre circulation des savoirs et des pratiques ?
Isabelle Berrebi-Hoffmann, Marie-Christine Bureau et Michel Lallement ont déjà proposé ici une analyse de cet élan productif par le prisme de l’organisation du travail ; plus de deux ans après le début de la pandémie, il semble important et complémentaire de prendre le temps de considérer ce qui a été produit, en se plaçant du côté des arts de faire : de quels objets parle-t-on, quels sont les lieux de production, et que penser de cette production qui relève parfois du système D ? La pandémie s’est révélée être un moment exemplaire pour comprendre comment le réseau des makers est structuré et comment une forme de design « ouvert » a pu ainsi être défendu et diffusé.
Fabrication locale, indépendante et décentralisée : penser des solutions complémentaires
Le mouvement maker naît aux États-Unis au début des années 2000. Il est le résultat de la convergence entre la culture numérique du libre et de l’open source et des savoir-faire techniques plus traditionnels (ou artisanaux). Ce mouvement se veut expérimental et le plus indépendant possible, source d’une production qui n’est pas pensée comme une alternative à l’industrie classique mais plutôt comme une solution complémentaire.
Les logiques de fabrication locale, distribuée et décentralisée dépendent d’un réseau de lieux et d’acteurs identifiés qui rassemblent à la fois des experts et des amateurs, des autodidactes et des designers qui travaillent de pair à pair, dans une approche collaborative. Les valeurs qui animent ces collectifs reposent sur une visée de progrès social et culturel, sans tourner le dos à des opportunités d’entreprenariat.
L’open source et plus généralement les principes du « libre » en sont des piliers importants, puisqu’ils définissent de nouveaux espaces pour la propriété intellectuelle. Les modes d’action de ces nouveaux espaces sont peu à peu adaptés au monde « physique » du hardware, du design, des objets et des productions tangibles. C’est donc dans cette lignée que l’on parle depuis quelques années d’open design, de design « ouvert » ou d’« innovation ouverte », deux expressions désormais largement répandues.
Cette direction nouvelle s’accompagne d’un idéal démocratique et repose sur l’idée d’une réappropriation citoyenne des moyens de production. Les makers se situent à la frontière de ressources et de méthodes proches de celles du design, de l’industrie et du prototypage. Ce mouvement implique différents positionnements pour les designers et pour la conception, la fabrication et la diffusion d’objets. L’autoproduction et l’accomplissement personnel par la fabrication ou l’émancipation par les techniques numériques de fabrication en sont les promesses et les idées fortes.
L’énergie émancipatrice qui guide les designers, makers et ingénieux bricoleurs tient à une vision critique de la manière dont les questions environnementales sont prises en charge et administrées par l’État : il s’agit bien souvent de reprendre en main des questions qui intéressent le collectif.
Face à la pandémie de Covid-19 qui a frappé le monde au printemps 2020, des collectifs de makers se sont coordonnés à une grande échelle pour produire de manière locale et à la demande différents équipements, dont une grande quantité de masques de protection contre le virus, pour équiper à la fois les particuliers, mais aussi les soignants et le personnel hospitalier, afin de contrer la pénurie nationale d’équipements techniques de ce type.
La pénurie de masques a révélé, par contraste, l’efficacité des makers pour structurer rapidement une réponse productive fiable face à la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales en matériel médical sur lesquelles les États européens n’ont pas pu compter. L’auto-organisation de ces collectifs apparaît ainsi comme une contre-proposition éclairante face aux modèles classiques.
Pour aller plus loin :
- Camille Bosqué a publié en août 2021 Open Design. Fabrication numérique et mouvement maker aux Éditions B42.
- Bosqué, C. (décembre 2021) “Design viral,le plan C. Les makers face au Covid”, revue Design, Arts, Médias, Les Arts de faire : Acte 2 – Design du peu, pratiques ordinaires
La pandémie de Covid-19 a révélé l’efficacité des makers pour structurer rapidement une réponse productive fiable face à la pénurie de masques et à la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales en matériel médical, sur lesquelles les États européens n’ont pas pu compter. Cet article examine les conditions de production de ce « design d’urgence » et la façon dont les ressources ont été employées et collectivement gérées, en décrivant les modes de conception « frugales » mises en jeu.