La plateforme Matières Premières, lancée en juin 2022, explore le potentiel transformatif et stratégique des environnements intérieurs face aux enjeux écologiques, sociaux et politiques, présents comme futurs.
Victor Petit, docteur en philosophie et enseignant dont les travaux sont au croisement de la philosophie écologique et de la philosophie des techniques, y publie un article dédié au design, par le prisme des communs. À lire dans son intégralité sur le site Matières Premières.
Extrait :
Au regard de la crise écologique, l’enjeu principal du design contemporain semble avoir été formulé Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard, à propos de leur projet Trou noir : « il nous faudrait alors créer des objets en plus qui auraient pour vocation à générer des objets en moins ». Une telle citation n’a de sens que si on comprend que dans l’« éco-design » ce qui est « éco » ce n’est ni un matériau, ni un produit, mais un processus, un cycle, un système.L’idée n’est pas tant de créer des objets, que de créer des procédés de fabrication et des méthodes de conception. Le designer ne propose plus un objet donné à construire à la manière d’Ikea, mais un objet à se donner et à poursuivre. On parle aujourd’hui de metadesign. L’idée étant de mettre les outils du design plutôt que les objets, le contexte plutôt que le contenu, dans les mains de l’usager (Giaccardi, 2005). Le mouvement de l’open design de Ronen Kadushin ou celui d’Open structures réinvente aussi à sa manière non seulement le produit, mais la production industrielle, plus modulable, moins obsolescente. Pour économiser de la matière et de l’énergie, il faut passer du tout jetable au tout réparable, et fondamentalement, il faut systématiquement remplacer des biens par des services ; cela suppose une toute autre conception des produits industriels qui deviennent modulaires au lieu d’être intégrés. Tout le courant du design libre, porté par exemple par l’association grenobloise Entropie, tente ainsi de mêler autonomie du sujet et durabilité des objets en exprimant la nécessité de dévoiler ce qu’on pourrait appeler le code-source de l’objet.
Si le design travaille bien « Speculative Futures and Alternative Presents », alors, dans le contexte qui est le nôtre, à savoir celui de la révolution numérique d’une part et de la crise écologique mondiale d’autre part, ces alternatives peuvent se résumer par l’idéal de creative commons. La transition écologique et la culture numérique se rencontrent en effet aujourd’hui autour de la défense des « commons ». Ce mot fédère des luttes différentes, à l’image de Philippe Aigrain, sur son blog, qui en appelle à une coalition des communs réunissant les écologistes et les informaticiens. Michel Bauwens, dont nous avons déjà parlé, illustre assez bien cette rencontre entre transition œcologique (à la fois écologique et économique) et transition numérique. En France, le philosophe André Gorz, fut un des premiers à théoriser ce qui est commun à la transition écologique et à la transition numérique, comme le résume la citation suivante :
« La lutte engagée entre les ‘logiciels propriétaires’ et les ‘logiciels libres’… a été le coup d’envoi du conflit central de l’époque. Il s’étend et se prolonge dans la lutte contre la marchandisation des richesses premières – la terre, les semences, le génome, les biens culturels, les savoirs et compétences communs, constitutifs de la culture du quotidien et qui sont les préalables de l’existence d’une société. De la tournure que prendra cette lutte dépend la forme civilisée ou barbare que prendra le capitalisme. Cette sortie implique nécessairement que nous nous émancipions de l’emprise qu’exerce le capital sur la consommation et de son monopole des moyens de production. Elle signifie l’unité rétablie du sujet de la production et du sujet de la consommation et donc l’autonomie retrouvée dans la définition de nos besoins et de leur mode de satisfaction »
André Gorz, Ecologica, p. 39
Cette lutte pour l’autonomie est l’enjeu fondamental du design des commons.
Source : Matières Premières